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Hervé Guibert, L’Incognito, doublement préfacé par Jean-Baptiste Del Amo et Oscar Coop-Phane, Gallimard, coll. L’imaginaire, 2021.

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A propos de son séjour à la Villa Médicis, de 1987 à 1989, Hervé Guibert déclara qu’il s’agissait de « deux années de bonheur, de paix, de concentration, d’indépendance. J’ai utilisé la villa Médicis comme un cloître pour me protéger à tous points de vue. Pour travailler (1). » Cependant, L’Incognito, qui paraît initialement en 1989, ne dresse pas le même constat. Dans ce roman autobiographique, le narrateur, Hector Lenoir, double de Guibert (Hector Lenoir est le pseudonyme qu’il utilisa pour l’écriture de ses premiers contes, comme il le confie dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie) relate son séjour à « l’Académie espagnole » et toutes les tracasseries administratives auxquelles il est confronté.

Il n’épargne ainsi personne, tombant à bras raccourcis sur chacun des membres de cette noble institution dont il dévoile les coulisses, les petits arrangements, les guerres de pouvoir internes, les privilèges et autres petits trafics d’influence. Certains des pensionnaires en ont aussi pour leur argent, et tombent sous la plume piquante du narrateur qui souligne les mesquineries des uns, les bassesses des autres. 

Heureusement, le narrateur n’est pas seul dans cette Académie. Il s’y retrouve avec Matou (Eugène Savitzkaya) puis Matéovitch (Mathieu Lindon) et ensemble ils se livrent à de nombreuses facéties qui la transforment en théâtre burlesque et comique. Jean-Baptiste Del Amo le remarque dans sa préface, soulignant « l’humour décapant qui traverse [le livre], l’habileté de Guibert et de son avatar Lenoir à croquer le terrible portrait du directeur, du secrétaire général de l’Académie espagnole ou des pensionnaires toujours prompts à se ruer en pèlerinage sur les lieux de l’assassinat de Pasolini ».

Cependant, petit à petit, une intrigue policière gagne du terrain et vient progressivement se substituer au règlement de compte initial. Guido Jallo, un professeur de latin-grec, évoluant dans le milieu de la prostitution masculine, fréquentant la boîte homosexuelle « L’Incognito » qui donne son au roman, a été assassiné. Le narrateur, habitué de ce même lieu, commence alors à craindre aussi de se faire tuer, crainte qui dissimule de manière métaphorique sa peur du sida, auquel les allusions directes et indirectes se multiplient, et dont il apprendra être malade au cours de l’écriture du livre…

L’Incognito est un roman à part dans la bibliographie guibertienne. Un roman qui cache mal l’angoisse de Guibert qui n’ose encore annoncer de manière frontale la réalité de sa maladie. Il en parlera comme d’« une blague […], un jeu de massacre, quelque chose de systématique dans sa méchanceté, dans sa fausse méchanceté (2)». C’est pourtant un des livres les plus comiques de l’auteur dans lequel l’écriture ménage parfaitement les effets de suspense et mène le lecteur dans une histoire rocambolesque dont il a le secret.

Comme l’écrit Jean-Baptiste Del Amo, « Hervé Guibert est resté l’un des pensionnaires les plus émérites de la villa Médicis. Son nom s’y murmure encore, L’Incognito fait partie des romans les plus empruntés de la bibliothèque ». Les deux préfaces, par deux anciens pensionnaires de la Villa Médicis, constituent un joli hommage, qui montrent que Guibert n’a rien perdu de son mordant, plus de trente ans après son passage à l’Académie de France à Rome.

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Arnaud Genon, le 24.01.2022

 

Notes :

 

(1) Hervé Guibert, entretien avec François Jonquet, « Je disparaîtrai et je n’aurai rien caché », Globe, février 1992, p. 108.

(2) Ibid.

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