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" Hervé Guibert", par le Collectif Aubervilliers, s'est joué du 6 au 9 octobre, au Studio-Théâtre de Vitry. L'écrivain Laurent Herrou y était.

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« De toute façon tu n’aurais pas supporté de vieillir. » (1)

 

Prémonitoires, cruels, les mots de cet Ami qui ne [lui] a pas sauvé la vie résonnent dans l’œuvre de Hervé Guibert. C’est également le cas dans la reconstitution éponyme, pensée par Arnaud Vrech avec le Collectif Aubervilliers, qui fut présentée du 6 au 9 octobre 2023 dans le très intime et chaleureux Studio-Théâtre de Vitry.

Reconstitution, oui, car l’écriture de la pièce s’articule (on notera la parfaite diction des acteurs) sur un réquisitoire précis, à partir de phrases de l’auteur issues de divers textes. La pièce explore sur trois temps : l’entrée en maladie de Guibert et la mort de Muzil ; son accoutumance au virus, presque son acceptation (« c’est vrai que je découvrais quelque chose de suave et d’ébloui dans son atrocité (…), c’était une maladie qui donnait le temps de mourir, et qui donnait à la mort le temps de vivre » (2)) jusqu’à ce qu’un chercheur américain, Bill, lui fasse miroiter la possibilité d’un protocole vaccinal — soit : l’injection du virus débarrassé de son potentiel contaminant — dont Guibert ne verra jamais la couleur. 

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« Ce qui est grave n’est pas tant que Bill n’ait pas tenu ses promesses, mais qu’il te les ait faites. » (3)

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L’adaptation oscille entre le procès de Bill par l’auteur et l’évolution inexorable du sida dans son corps. Le texte original (passé au prisme du metteur au scène et du travail dramaturgique impressionnant de sa collaboratrice, Franziska Baur) est habilement distribué entre les trois formidables comédiens. Cecilia Steiner incarne au fil de la pièce, avec sobriété, le médecin qui suit le patient et, hallucinée, fantastique, l’actrice et amie de Guibert, dénoncée par la presse d’être porteuse du virus. Johann Weber est l’antipathique Bill pour la grande majorité du spectacle, et ce Muzil fragile, émouvant, qui mourra dans sa première partie. Clément Durand, enfin, dans le rôle de Hervé Guibert, joue avec une justesse rageuse, enfantine, cette partition sur le fil conduite par l’autofiction, aussi bien dans la logorrhée des pages de description (la traversée de l’hôpital) que dans les phrases sans complaisance de l’auteur face à sa déchéance physique. « Dans ce mouvement », explique Arnaud Vrech (à propos du dispositif mettant en scène Cecilia et Johann autour de Clément, la figure de Hervé), « s’est alors dessinée une construction presque chorégraphique, permettant ce jeu entre le fictif et le réel, et l’affirmation d’une lutte au temps présent. » Je te crois ou Je ne te crois pas, répondent à tour de rôle les différents personnages à l’affirmation du « don », exceptionnel ou non, de l’un d’eux : c’est cette proposition qui permet, par le biais d’un jeu puéril entre les comédiens (« bleeding childhood » (4), l’enfance qui saigne, lit-on dans À l’ami… à propos d’une lacune d’innocence), d’entrer dans le vif du (des) sujet (s).

« Jusqu’où souhaites-tu me voir sombrer ? » (5)

 

Il y a un enjeu de taille à « représenter » le sida aujourd’hui, du moins : à chercher à le rendre compréhensible aux yeux de générations qui n’ont pas traversé sa prise de conscience, puis les rebondissements de sa prise en charge. Le travail d’Arnaud Vrech, au-delà de ses qualités incontestables d’adaptation et de direction, a le grand mérite de rendre hommage à l’extrême clairvoyance de Guibert, non seulement face à son état, mais face à l’épidémie.

Depuis la structure du virus jusqu’aux effets indésirables du premier traitement proposé (l’AZT), ses mots exposent la maladie de manière quasi-didactique, au gré du protocole compassionnel auquel Vrech convie le spectateur. « Son » Hervé Guibert est ainsi à la fois création, interprétation et engagement dans le processus de fabrication de l’écriture : chaque interlude voit les comédiens se changer et évaluer leur tenue face à un reflet inexistant, avant d’affronter le public. C’est le geste littéraire — celui de Guibert, et plus généralement celui de l’autofiction, qui confronte l’auteur à sa propre distorsion avant de retourner le miroir vers son lecteur — qui est ainsi convoqué, analysé, compris et rendu au spectateur.

 

 

Laurent Herrou

Octobre 2023

 

 

 

Les citations (1), (2), (3), (4) et (5) sont extraites de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Hervé Guibert (Gallimard, 1990), respectivement pages : 242, 192, 274, 236, 284 (Collection Folio).

Photos : Laurent Herrou, Charles Leplomb.

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Hervé Guibert

d’après À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie de Hervé Guibert (éditions Gallimard)

 

Arnaud Vrech

Collectif Aubervilliers

 

Interprétation : Cecilia Steiner, Clément Durand, Johann Weber

Mise en scène et adaptation : Arnaud Vrech

Dramaturgie et adaptation : Franziska Baur

Production : Collectif Aubervilliers

Coproduction : Maison Maria Casarès ; Moulin du Roc, Scène Nationale de Niort

 

Durée : 1h15

 

Prochainement : du 24 au 29 janvier 2024 au Théâtre des Clochards Célestes à Lyon 

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